Potosí la « riche »

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En lisant le résumé de l’histoire de la ville de Potosí sur mon guide avant de la visiter, j’ai pu prendre toute la mesure de mes lacunes en histoire. Si vous non plus ce nom ne vous dit rien, ayez honte car cette ville a joué un rôle primordial dans le monde il y a à peine quelques siècles.

Potosí est une ville minière de l’altiplano bolivien, située au pied de la montagne appelée El Cerro Rico. Dans ses entrailles, cette montagne a autrefois contenu le plus important gisement d’argent qui n’ait jamais été découvert, ainsi que d’autres minéraux tels que le zinc et le plomb. Ce gisement a été découvert par les colons espagnols et il est exploité de 1545 jusqu’à aujourd’hui. Ces richesses ont servi à rembourser les dettes et remplir les caisses du royaume d’Espagne pendant plusieurs siècles. Quand un bateau transportant l’argent de Potosí coulait ou était attaqué, c’est tout le royaume qui vacillait.

Pour extraire toutes ces richesses, l’Espagne a utilisé des millions de travailleurs, esclaves pour la plupart, indigènes ou amenés d’Afrique. En tout, on estime que 8 millions d’entre eux auraient péri dans ces mines à cause des conditions de travail épouvantables. On dit de cette montagne qu’elle est mangeuse d’hommes.

 

El Cerro Rico
El Cerro Rico

Ces mines ont fait la prospérité de la ville au temps colonial. A son âge d’or, elle aurait été la deuxième ville la plus peuplée d’Amérique après Mexico avec environ 200 000 habitants, un chiffre sensiblement équivalent à celui des grandes villes européennes.

Aujourd’hui, la ville conserve des traces de son glorieux passé à travers une jolie architecture coloniale et un impressionnant musée de la monnaie. Le gisement minéral est quasiment épuisé mais des mineurs continuent d’y travailler dans des conditions souvent aussi mauvaises qu’à l’époque pour extraire ce qu’il reste, majoritairement du minerai de mauvaise qualité.

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La façade de l’office du tourisme, de style gothique andin

La ville possède un autre record : elle est la plus haute du monde, culminant à plus de 4000m. Ce record dépend néanmoins des critères de décompte. En effet, le centre ville d’El Alto, la banlieue de La Paz, est situé un peu plus haut que celui de Potosi. Néanmoins, d’une part El Alto est située sur un plateau alors que certains quartiers de Potosi sont situés plus hauts ; d’autre part, même s’il agit d’une municipalité distincte, on considère parfois El Alto comme un quartier de La Paz. De plus, dans ce classement, on ne considère que les villes d’au moins 100 000 habitants : le record absolu serait détenu par Riconada, une petite ville minière du Pérou située à 5100m d’altitude.

La casa de la moneda

Avouons-le, nous n’avons pas passé notre temps dans les musées depuis notre départ. Pour une fois que nous nous décidons, le jeu en vaut la chandelle.

La maison de la monnaie était le lieu où étaient frappées les pièces en argent provenant des mines. Elle a été utilisée pendant plusieurs siècles avant d’être transformée en musée. Bien que la collection numismatique soit assez maigre car tout était expédié en Espagne, le musée vaut largement le détour.

L’intérêt de la visite réside principalement dans ses jolis bâtiments et dans les machines anciennes qui sont dans un état de conservation incroyable grace au climat froid et sec.

Dans la cour située près de l’entrée, une figure, appelée le mascarón est suspendue. Elle représente un visage d’homme au sourire sardonique et coiffé de grappes de raisin, tel Bacchus. Réalisé par un employé français au XIXe siècle, on ne sait pas exactement quelle est sa signification. C’est néanmoins devenu un des symboles de Potosí.

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Le mascaron

Les plus belles pièces du musée sont des machineries complexes en bois sur deux niveaux permettant le laminage des lingots d’argent pour leur donner l’épaisseur d’une pièce de monnaie. En bas, un axe principal était mis en rotation grace à 4 mules qui devaient tourner autour inlassablement. Les pauvres bêtes mouraient au bout de 6 mois à peine. En haut, l’axe actionnait un ensemble de roues crantées qui faisaient tourner 4 rouleaux utilisés successivement pour aplatir le métal progressivement.

D’autres machines permettaient de poinçonner puis d’estampiller les pièces cette fois-ci en utilisant la force humaine. A la fin de la visite, deux autres jeux de machines complets, plus modernes, le premier à vapeur et le second électrique, sont également exposés.

On visitera également la forge, une salle contenant une importante collection de minéraux ainsi qu’une exposition d’objets en argent.

Notez qu’il fallait payer un supplément pour avoir le droit de prendre des photos, donc j’y ai renoncé.

Visite d’une mine

Les visites des mines d’argent sont devenues une des activités touristiques principales de Potosí.

Il est légitime de se poser la question : est-ce moral de visiter une mine en touriste alors que des gens y meurent soit d’accidents, soit à petit feu de la silicose à cause de ce qu’ils respirent ? Mon avis est que vous devez y aller car c’est bénéfique pour tous les acteurs, soit :

  • pour vous car c’est très instructif. Affronter la réalité aussi dure soit-elle ne peut être que bénéfique !
  • pour les mineurs car vous leur apportez quelques cadeaux (boissons, feuilles de coca), qui leur fait faire des économies et vous ouvrez un minimum leur horizon qui est centré sur la mine uniquement, ce qui leur fait plaisir ; si vous racontez votre expérience, vous contribuez à sensibiliser le monde à leur situation
  • pour les guides qui sont tous d’anciens mineurs auxquels vous permettez une reconversion salutaire

J’ai donc décidé de faire la visite, sans Aurélie toutefois, pas vraiment attirée par les entrailles de la montagne.

Parmi les agences qui proposent cette activité, il faut à tout prix en choisir une gérée par des anciens mineurs et qui propose la visite d’une mine en activité. Dans le cas contraire, vous n’apprendrez pas grand-chose et vous ne contribuerez à rien non plus. Nous avons choisi l’agence Real Deal.

Le tour commence par une visite rapide du marché des mineurs. Ici, vous trouverez la nourriture habituelle, ainsi que beaucoup de coca et de la dynamite. Le guide insiste sur ce qu’il est recommandé ou pas d’offrir aux mineurs. Néanmoins, après moult explications, il nous suggère d’acheter un « pack » standard contenant un sac de feuilles de coca et une grande bouteille de jus.

Coca & Coca
Coca & Coca

L’étape suivante consiste à récupérer le matériel de protection pour la visite de la mine : combinaison, bottes, casque avec lampe frontale et masque jetable.

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Mon accoutrement

Nous nous dirigeons ensuite vers l’usine d’extraction qui nous montre les différentes étapes pour passer du minerai brut à un produit beaucoup plus pur. Les machines sont assez anciennes mais les mines ne rapportent pas assez pour justifier un investissement important.

Enfin, nous sommes amenés à l’entrée de la mine proprement dite et commençons la visite.

Wagons à l'entrée de la mine
Wagons à l’entrée de la mine

Au cours de notre traversée, le guide nous raconte l’histoire des mines et de Potosí, l’organistation et les conditions de travail, nous parle des minéraux, du fonctionnement de la coopérative, des croyances religieuses, des promesses (non-tenues) du président envers les mineurs, etc. Il parle sans tabou et répond à nos rares questions.

On croise quelques groupes de mineurs qui poussent des wagons ou creusent des galeries ; on leur donne les rafraîchissements et la coca.

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Rencontre dans les galeries – il a insisté pour faire une photo

Les galeries sont parfois basses, on est obligés de marcher baissés et aussi les pieds dans l’eau. Malgré cela, l’atmosphère n’est pas trop oppressante : la température est convenable et il n’y a pas trop de poussière. Les travailleurs les plus exposés sont ceux qui fragmentent la roche en utilisant de l’eau sous pression mais c’est également sur le long terme que se développent les maladies. Sur les parois de la galerie, on voit parfois les minéraux qui affleurent : ils créent des lignes de couleurs incroyables.

Minéraux
Minéraux oxydés qui affleurent dans les galeries

On passe ensuite sur une galerie plus haute en grimpant trois échelles successives dans un puits étroit. De nombreuses mines communiquent entre elles, c’est un vrai gruyère de galeries. Nous sortirons d’ailleurs par une mine différente de celle par laquelle nous serons rentrés.

El Cerro Rico
La montagne n’a plus grand chose de naturelle

Au sommet de ce puits se trouve le tio de cette mine. Le tio est une divinité qui selon les croyances locales règne sur le monde souterrain. Il ressemble au diable mais n’est pas considéré comme tels par les locaux. A l’extérieur, les mineurs, tous catholiques, prient dieu mais dès qu’ils entrent dans la mine, ils font des offrandes au tio. Chaque mine possède sa statue du tio en terre. Celui que nous avons devant nous est parait-il un des plus remarquables de toute la montagne. Il ressemble à un démon pourvu d’un attribut masculin démesuré. De nombreuses offrandes jochent le sol, notamment des feuilles de coca et des bouteilles d’alcool vide. Notre guide fait également ses offrandes et fait une prière pleine d’humour demandant des « bons » touristes comme nous, pas ceux qui râlent tout le temps, ou alors des japonais car ils sont petits donc ne se cognent pas au plafond, n’utilisent pas la lampe tellement ils prennent des photos au flash et n’ont pas besoin de ses explications car ils ne parlent ni espagnol ni anglais. Nous devons également goûter à l’alcool local, qui tire à 96°, mais reste propre à la consommation : buen gusto dit même l’étiquette. Je n’irai pas jusque là…

Le tio de la mine - no comment
Le tio de la mine – no comment

Après près de 2h sous terre, nous sortons enfin : nous aurons aurons parcouru environ 3 km sous terre et complètement traversé la montagne.

La montagne abrite toujours des enfants qui travaillent dans les mines, mais nous n’en avons pas vu. Pour aller plus loin, je vous recommande le poignant documentaire The Devil’s Miner.

La cathédrale

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L’intérieur de la cathédrale néo-classico-gothico-baroque

Pour terminer cet article à rallonge, je voudrais évoquer la cathédrale de Potosí. En pleine rénovation, elle n’est pas ouverte pour le culte mais se visite en tant que musée. La rénovation semble presque achevée et il n’y a pas d’échaffaudage qui gêne la visite. Relativement récente, de style hybride néo-classique, néo-gothique et néo-baroque, l’édifice présente un certain intérêt et l’intérieur, bien que coloré, dispose de murs peints en blanc ce qui évite le côté surchargé qu’on rencontre fréquemment sur le continent. Mais ce qui vaut vraiment son pesant de cacahuètes, c’est Dullfredo, notre ineffable guide, avec son style très « Julien Lepers », qui vous fait participer interactivement à la visite. Pas question d’écouter passivement son exposé, non, il faut répondre à ses questions, comme à l’école. C’est néanmoins très bien pour retenir ce qu’on apprend. La visite est aussi l’occasion de monter au clocher pour avoir une jolie vue de la ville. Les cloches sont à portée de main, donc résistez à la tentation et ne faites pas la bêtise de les sonner.

Vue depuis la tour de la cathédrale
Vue depuis la tour de la cathédrale

On retiendra :

  • une ville dont toute l’activité et l’histoire sont liées à ses mines, hier comme aujourd’hui
  • une ville dont la grandeur passée a laissée des traces encore visibles aujourd’hui
  • la visite de la mine et du musée de la monnaie, qui valent vraiment le détour
Ils sont confiants de laisser la cloche à portée de main
Deux cloches et un joli objet métallique

2 Responses

  1. Christine

    Ouah les mines …. J’ai eu l’impression de le vivre avec toi jeremie…. Poignant ! Aurelie pas tentée ?

  2. bernard

    Beau compte rendu, ça me donne vraiment envie de visiter la ville 🙂

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